Bienfaits de l'immobilité

25/02/2017 15:35

L’IMMOBILITE ….SOURCE DE PUISSANCE

 

Par André Van Lysebeth (extrait de la revue Yoga)

 

Une découverte essentielle, géniale, des yogis, c’est l’importance de l’immobilité.

Pour nous, occidentaux, l’immobilité est la négation même de toute action donc de tout dynamisme.

En y réfléchissant, nous observons que, systématiquement, le yoga introduit l’immobilité

dans tous les domaines :

-immobilité du corps dans les âsanas

-arrêt donc immobilité du souffle dans le prânayâma

-recherche de l’immobilité du mental dans la méditation

 

Comment comprendre et admettre que l’on peut obtenir plus par l’immobilité que par l’action ?

Un exemple simple nous éclairera. Voici une rivière paresseuse qui coule tranquille dans cette vallée.

Telle quelle, elle ne peut guère actionner une turbine pour fournir du courant. Mais si nous construisons un barrage,

si nous stoppons l’écoulement de la rivière, l’eau va s’accumuler et, dès que la retenue sera pleine,

elle pourra actionner la turbine au bas du barrage. Avec la même quantité d’eau, la rivière produira assez

d’électricité pour éclairer toute une ville.

Ce n’est bien sûr qu’une comparaison, mais suffisamment éloquente pour faire comprendre l’importance de

l’immobilité dans le yoga, dans tous les domaines cités plus haut.

 

Détaillons cela :

 

Immobilité du corps.

Prenons comme exemple une posture inversée, la pose sur la tête ou la chandelle. Pour nous rendre compte

des effets de l’inversion du corps, posons maintenant nos deux mains sur la table et examinons les :

elles ont toutes les deux, sauf accident le même aspect. Si maintenant,je lève le bras, gauche ou droit au choix,

et que je le laisse levé pendant quelques secondes avant de redéposer la main correspondante à côté de

sa sœur jumelle restée sur la table, je constate qu’elle est plus pâle, tout simplement parce que le sang artériel

autant que veineux a reflué sous l’effet de la gravité.  Et il faudra un temps bien plus long avant que

les deux mains ne soient redevenues toutes deux pareilles d’aspect.

Transposons cela maintenant au corps tout entier et nous saisirons l’importance des postures inversées

pour l’activation de la circulation sanguine dans l’ensemble du corps : les effets seront proportionnels

à la durée de l’immobilité dans l’âsana.

Si je prolonge maintenant la durée de l’immobilisation, j’aurai un effet d’accélération sur  la circulation

lymphatique, à laquelle on pense peu, mais dont l’importance est au moins égale à celle de la circulation

sanguine. La lymphe étant un fluide plus visqueux que le sang, il faut attendre plus longtemps avant que

des effets marqués ne se produisent.

Pour un effet nettement marqué une ou deux minutes sont un minimum indispensable.

Si je prolonge encore plus l’immobilité, j’aurai un effet quantifiable et mesurable sur la circulation du liquide

céphalo-rachidien, celui-là même dans lequel flotte mon cerveau et qui baigne aussi la moelle épinière

et se prolonge jusqu’au bas de la colonne. Comme ce liquide est très visqueux et qu’il y en a relativement peu

(1 à 2 litres au maximum), il faudra de longues minutes pour réaliser les objectifs de la posture inversée

sur le liquide cérébro-spinal.

 

Mais pendant tout ce temps, la gravité aura continué d’agir sur la circulation sanguine et sur la circulation

lymphatique, donc les trois effets s’amplifient au fur et à mesure. Et cela nous fait comprendre pourquoi

les yogis insistent sur les poses inversées de longues durées ; même si nous n’envisageons pas de les

suivre dans des immobilisations très prolongées, retenons quand même que plus nous tiendrons la pose,

plus elle nous apportera ses effets bénéfiques propres.

 

Nous pourrions tenir un raisonnement similaire pour les autres postures, de flexion vers l’avant  ou

vers l’arrière, ou encore de torsions, et nous comprendrons qu’il est très utile et important de « tenir »

les asanas. Il est inutile de faire de nombreuses postures pendant une séance de yoga :

il est préférable d’en inclure un nombre réduit, mais de les conserver plus longtemps. 

Sans consacrer plus de temps à notre séance, nous en augmenterons très notablement les effets

bénéfiques.

 

 

Importance de l’arrêt du souffle dans le prânayâma

 

Pour mieux mesurer l’importance des rétentions du souffle, nous devons nous remettre en mémoire quelques

notions essentielles à propos du souffle.

Tout d’abord, le souffle est pratiquement en permanence commandée et réglé par l’intelligence du corps

et nous n’avons pas à nous en préoccuper, ce qui serait d’ailleurs fort gênant  car nous ne pourrions même

pas dormir, nous serions sans cesse occupés  à régler  notre respiration.

Même si nous n’avons pas à nous en charger, néanmoins à tout moment nous pouvons prendre la direction

des opérations et contrôler volontairement notre respiration, jusqu’à l’arrêter si tel est notre souhait.

 

Souvenons nous aussi qu’à l’endroit où le crâne et la colonne vertébrale se rencontrent à la nuque,

la moelle épinière s’épaissit au point de former ce renflement appelé « bulbe rachidien », endroit stratégique

par excellence où une simple piqûre d’épingle suffirait,parait- il, à nous tuer !

D’ailleurs quand le bourreau exécute un condamné par la pendaison, après lui avoir mis la corde au cou,

il ouvre la trappe et le condamné tombe brutalement dans le vide. Sa chute lui fracture les vertèbres cervicales,

lesquelles écrasent le bulbe et le tue instantanément.

Toutes les commandes vitales sont réunies à ce centre, notamment les centres respiratoires, car nous en avons

deux : l’un contrôle en permanence le taux sanguin en oxygène, l’autre en le taux en CO2.

Si on manque d’oxygène, le centre nous fera respirer plus profondément et plus vite.

Idem, s’il y a trop de CO2 dans le sang. Lors d’un excédent occasionnel d’oxygène, il stoppe de son propre gré

la respiration et déclenchera de nouveau les mouvements respiratoires quand le taux sera revenu normal,

le corps ayant consommé son  excès d’oxygène.

C’est ce qui se passe après une hyperpnée, une hyperventilation des poumons,

par exemple dans Bhastrika (le soufflet) ou le kapalabhati

(voir les détails dans mon livre Pranâyâma, la dynamique du souffle)

Si, aussitôt après avoir hyper-ventilé les poumons, on bloque sa respiration_ il est fortement conseillé de le faire _

on s’aperçoit qu’on retient facilement et pendant longtemps son souffle.

En fait, le corps attend que le taux en CO2 dans le sang remonte, avant de réclamer de nouveau de l’air.

 

Que se passe t-il quand on bloque son souffle ?

Quand on bloque volontairement son souffle, on déclenche fatalement des réactions

nombreuses et très importantes à bien des niveaux du corps. Priver quelqu’un d’air est une agression

majeure puisque après peu de  minutes elle  aboutirait tout simplement à la mort.

Toute rétention du souffle met aussitôt le corps en alerte et y déclenche de fortes réactions.

Toutefois le corps fait vite la différence avec une rétention volontaire, qui n’est pas vécue comme

une redoutable agression, donc il accepte de jouer le jeu, et  c’est ainsi que des hommes

_par exemple Jacques Mayol _ parviennent à retenir leur souffle pendant plusieurs minutes.

Il est  cependant évident que cela doit se faire progressivement . Néanmoins les réactions sont là.

Sont-elles bénéfiques ? Bonne  question !

L’expérience millénaire du yoga est là pour nous affirmer haut et fort que « oui » à la condition

de ne pas dépasser ses possibilités individuelles.

Comment le savoir ? C’est simple : après une rétention de souffle il faut être capable de vider les poumons

sans se presser et de ré-inspirer à l’aise. Si l’on est obligé de les vider d’urgence, voire en catastrophe,

c’est que l’on a dépassé ses limites, ce qui signifie ce qui ne pas qu’il n’y ait  danger,

mais la prudence commande de rester en deçà de cette limite. En somme, il s’agit que la rétention

ne devienne pas inconfortable. Ce qui est important c’est d’être très persévérant et régulier dans sa pratique,

de ne pas s’exercer par à coups, mais par petites doses journalières.

Moyennent  quoi, grâce à des rétentions intelligentes, on fortifie son système parasympathique, qui règle notre

vie végétative, donc pratiquement un système autonome à propos duquel il était affirmé qu’on ne pouvait avoir

aucune influence sur lui, ce qui n’est pas l’avis des yogis. Vous trouverez d’autres indications concernant les

précautions et étapes dans le travail des rétentions du souffle dans mon livre

« Prânayâma, la dynamique du souffle à la page 311, au chapitre « ne faîtes pas…… »

Si,  pendant les rétentions à poumons pleins, on sent que le cœur bat plus lentement et plus fort, tout est O.K.

Les rétentions semblent aussi susciter un appétit plus grand  pour l’oxygène dans les cellules pulmonaires et

mieux perméabiliser les alvéoles, qui digèrent mieux l’oxygène et rejettent mieux le CO2, engendrant ainsi

24 heures sur 24, une respiration plus efficace, ce qui ne peut qu’avoir des effets bénéfiques dans tous

les domaines de la vie.

Les indications ci-dessus suffisent à nous faire prendre conscience de l’importance  qu’il y a à immobiliser

le souffle.

 

L’immobilité du mental

 

Comparé au mental du yogi accompli, un mental ordinaire est comme une lampe ordinaire, qui éclaire,

c’est entendu, mais dont la lumière n’a pas la puissance du rayon laser. Dans les deux cas, il s’agit de

rayons lumineux, mais alors que le laser peut couper du métal,  la lumière reste à la surface des choses.

 D’où le mental du yogi tire-t-il sa puissance ?

Pantajali dans ses « Yogas Sutras » nous le dit dès son deuxième sloka : « Yoga citta vritti nirodha »

sloka dont la traduction ne fait pas l’unanimité. On la traduit généralement par

 « Le yoga consiste à contrôler, à réduire les modifications de la substance pensante ».

Certains disent non pas « contrôler » mais « arrêter les modifications ». Après avoir longtemps hésité

moi-même entre les deux interprétations, je me suis rallié à la seconde, donc « arrêter les modifications ».

C’est le sloka suivant qui a emporté mon adhésion à cette interprétation car ledit sloka affirme :

« Le mental, étant,  dans cet état,  inconscient. » En effet, si le mental n’a plus de vrittis, c'est-à-dire est vidé de

« toutes formes- pensées », donc sans pensées, cela implique l’arrêt des modifications. Ce qui implique,

à son tour, la concentration parfaite du mental. Qui dit concentration parfaite dit capacité de maintenir le

mental fixé sur un objet ou sur une pensée pendant longtemps. Or, personne ne doutera de la puissance du

mental est proportionnelle à sa capacité  à se concentrer. Donc, nous débouchons de nouveau sur l’immobilité

prolongée.

D’ailleurs, quand le yogi, en profonde méditation est assis en lotus, il est parfaitement immobile et dans la

concentration la plus parfaite, il atteint le » kévala khumbaka », l’arrêt spontané des échanges respiratoires.

Il est donc immobile de corps, son souffle et son mental sont eux aussi, immobiles.

S’immobiliser n’est pas facile !

 

Néanmoins, personne ne prétend que s’immobiliser pendant longtemps soit facile, même dans le domaine

purement corporel. Tenir une posture pendant longtemps semble être à la portée de tout un chacun.

Par exemple, dans la Pince, quoi de plus facile que de s’immobiliser, pense-t-on. Essayez donc de tenir la Pince

  pendant seulement dix ou quinze minutes et vous constaterez à quel point c’est loin d’être facile.

Et contrairement à ce que l’on pourrait supposer, ce n’est pas le corps qui protestera et demandera de bouger,

mais bien le mental qui dira « Et si on passait à la posture suivante ? » Ce n’est pas nécessairement l’une ou

l’autre douleur physique qui nous ferait interrompre la tenue de l’asana après peu de minutes,

mais bien une réaction d’impatience du mental !

 

Mais facile ou non, c’est de l’immobilité que le yoga extrait toute sa puissance d’action sur l’entité humaine

à tous les niveaux. Alors, appliquons ce principe dans notre pratique yogique à tous les niveaux.

Qui nous en empêche ?